Sainte-Soline : l’aveuglement « à haut risque » du gouvernement


Des scènes de guerre dans les champs, des pluies de grenades de désencerclement, des rideaux de gaz lacrymogène, des motocyclistes en quad faisant usage de LBD, selon des témoignages et des vidéos sur les réseaux sociaux :  samedi 25 mars, la mobilisation contre le chantier à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) de plusieurs mégabassines, ces retenues d’eau destinées à l’irrigation agricole, a été marquée par de violents affrontements entre manifestant·es et forces de l’ordre.

Les organisateurs dénombraient des dizaines de blessé·es graves parmi les manifestant·es en fin d’après-midi : trois personnes en urgence vitale, trois ayant perdu conscience, des fractures ouvertes et « énormément de tirs de grenades au niveau de la tête et de lacrymos ». Le ministère de l’intérieur a annoncé vingt-quatre gendarmes blessés, dont un en urgence absolue, et sept manifestants blessés, dont un également en urgence absolue.

Une « extrême violence », a dénoncé le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, fustigeant « plus d’un millier de personnes extrêmement radicalisées », avec parmi elles « des black blocs, des gens de l’extrême gauche, de l’ultragauche qui s’en prennent aux gendarmes physiquement ».

3 000 policiers et gendarmes étaient présents pour faire face aux manifestants, dont certains en quad pour se déplacer dan la boue. © Photo Thibaud Moritz / AFP

« Déchaînement de violences inexcusable », « bilan extrêmement lourd », « images extrêmement dures », mobilisation « à haut risque » : l’exécutif et les services de renseignement n’ont cessé de distiller un discours anxiogène sur le rassemblement de Sainte-Soline, interdit par la préfecture. Et ce que l’histoire retiendra de ce samedi 25 mars, c’est peut-être qu’il a été la parfaite illustration de l’égarement des gouvernements français face à la catastrophe climatique. 

Car les qualificatifs employés par les divers représentants de l’État pourraient être justes s’ils étaient reliés aux bons sujets. Ce ne sont pas les manifestant·es antibassines qui font courir un danger à la démocratie. C’est le violent entêtement du pouvoir à protéger les activités qui détruisent le monde et nos conditions d’existence.

Environ 200 organisations, dont le collectif Bassines non merci, la Confédération paysanne et les Soulèvements de la Terre, avaient appelé à un week-end de mobilisation contre des projets de bassines. Seize retenues, d’une capacité totale d’environ 6 millions de mètres cubes, doivent y être construites, principalement dans les Deux-Sèvres, à la demande d’une coopérative de 450 agriculteurs et avec le soutien de l’État.

Elles doivent servir à stocker en plein air de l’eau puisée dans les nappes superficielles en hiver, afin d’irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient. Mais leurs opposant·es leur reprochent d’accaparer une ressource en eau de plus en plus rare, au profit d’une agriculture intensive polluante et émettrice de gaz à effet de serre. 

Dans le contexte de la mobilisation contre la réformes des retraites, il est tentant d’inscrire cette mobilisation dans le bras de fer qui s’est instauré entre l’exécutif et une partie du corps social. Ce regard franco-français risque de limiter la compréhension des enjeux qui se jouent à Sainte-Soline. Car la question de l’eau focalise l’attention et l’inquiétude de nombreuses institutions, chercheuses et chercheurs. L’ONU vient d’y consacrer une conférence à New-York – la première depuis des décennies.

« L’eau est le sang vital de notre planète », écrivent des chercheurs du Postdam Institute, un centre de recherche très respecté, dans un récent article de Nature où ils appellent à la création d’une « nouvelle économie de l’eau » pour la reconnaître comme un bien commun.

Cet article scientifique entre en résonance directe avec les affrontements de Sainte-Soline : « Les gestionnaires de l’eau ont toujours dû gérer les variations naturelles, en construisant des réservoirs plus grands et en pompant dans les aquifères pour combattre la rareté. Mais les défis actuels et les tendances qui s’annoncent pour le reste de ce siècle requièrent une approche complètement différente. Une révision complète de la manière dont on gouverne l’eau, dont on prend des décisions à son sujet et établit sa valeur. » 

Les chercheurs et chercheuses du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) viennent par ailleurs de publier un résumé de leurs travaux depuis en 2015. Cette dernière synthèse montre à quel point les écosystèmes aquatiques et marins sont affectés par les dérèglements du climat, et combien « chaque région est concernée », comme l’explique la climatologue Valérie Masson-Delmotte.

Qu’il s’agisse des impacts sur la production agricole ou sur la disponibilité de l’eau. « Le monde plus chaud, différent, que connaîtront les générations actuelles et futures dépend des choix effectués maintenant et à court terme », ajoute-t-elle. En France, le Conseil d’État vient de s’opposer au remplissage de cinq bassines en Charente-Maritime, constatant l’insuffisance des études d’impact des irrigants portant ce projet.

Au regard de ce que disent scientifiques et expert·es, ce ne sont pas les antibassines qui font entendre une voix dissonante du consensus raisonnable. C’est l’agro-industrie et l’exécutif qui se bouchent les oreilles et ferment les yeux. L’eau est devenue une ressource rare. Non seulement elle doit être partagée, mais de plus, toutes les activités agricoles, industrielles (comme les centrales nucléaires) et les modes de consommation (piscines individuelles, terrains de golf, par exemple) doivent être revues pour tenir compte de la réalité climatique.

Samedi matin, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau a assuré que les usages des bassines seraient contraints par la surveillance de l’administration. Mais à quoi cela sert-il alors de construire d’aussi énormes infrastructures ? Et qui peut réellement garantir qu’elles ne seront pas utilisées à leur maximum une fois qu’elles seront opérationnelles ? 

On ne peut pas à la fois s’opposer aux discours du désespoir climatique et de l’anxiété écologique en assurant qu’il n’est pas trop tard pour agir et, en même temps, criminaliser celles et ceux qui prennent au sérieux la catastrophe climatique en voulant empêcher les infrastructures qui ne peuvent qu’aggraver le désastre.

Car rien de constructif ne peut sortir de ces mégabassines : elles ne peuvent que contribuer à l’assèchement des nappes phréatiques, ainsi qu’à la perpétuation d’une agriculture que notre écosystème ne peut plus supporter. Une vraie politique sociale de bifurcation écologique consisterait à mettre en place un plan ambitieux d’accompagnement et d’aide aux agriculteurs des Deux-Sèvres pour les aider à passer à un autre type d’agriculture. 

À la différence des marches pour le climat qui ont défilé ces dernières années mais n’ont rien réussi à changer, les mobilisations cotre les bassines sont offensives. Elles visent une cible : l’agro-industrie. Et elles ne se contentent pas de slogans et de banderoles, elles veulent empêcher que l’irrémédiable se produise : le vol de l’eau au profit d’un modèle agricole mortifère.

En ce sens, ce n’est pas une mobilisation environnementale comme les autres. C’est un véritable mouvement social pour l’eau. Et peut-être, pour la France, le premier mouvement de la conscience climatique. Comme la lutte de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes avait été le premier mouvement social de masse contre un aéroport « et son monde ». 

En miroir de ce qu’il se passe sur les pesticides, il est triste de voir une partie des cultivateurs et leur syndicat majoritaire, la FNSEA, former un front contre les antibassines. Car c’est l’avenir de l’agriculture qui vient taper à leur porte. Parmi ces manifestant·es, jeunes ou plus âgé·es, nombreuses sont les personnes qui voudraient travailler la terre.

Elles sont le futur de l’agriculture, mais dans une version vivrière, collective, attentive aux autres espèces du vivant. Une version radicalement communalisée du travail des champs. Tant que cette réalité ne sera pas acceptée par les autorités et les institutions agricoles, les affrontements risquent de continuer encore longtemps.





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