Les auteurs de féminicides sont aussi en col blanc


La liste s’allonge inexorablement. Partout en France, des femmes meurent sous les coups de leur conjoint ou de leur ex. Souvent dans un contexte de séparation. Souvent de manière particulièrement brutale. Et dans tous les milieux sociaux.

Un nouveau cas, dramatique, est venu le rappeler lundi 20 mars. Cécile Hussherr-Poisson, enseignante-chercheuse à l’université Gustave-Eiffel et « sentinelle égalité à la fac », a été poignardée à plusieurs reprises à la gorge, alors qu’elle sortait de chez elle, dans le XIIe arrondissement de Paris. Elle allait avoir 48 ans début avril. Elle n’a pas survécu à ses blessures.

Son agresseur, pris en chasse par des ouvriers qui travaillaient à proximité, a été interpellé peu après, comme l’a raconté Le Monde. Il s’agit de son ex-mari François-Xavier Hussherr, qui a, depuis, été mis en examen pour « assassinat » et placé en détention provisoire.

Entrepreneur dans les nouvelles technologies, à la tête d’une start-up consacrée à l’intelligence artificielle, ce normalien, auteur de plusieurs ouvrages, participait parfois à des émissions de télévision.

Il faut le redire : les violences masculines au sein du couple touchent tous les milieux sociaux, toutes les générations et toutes les tranches d’âge. Les études le démontrent. Ainsi, une note datée de 2020 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) affirme que « l’ensemble des catégories socioprofessionnelles sont concernées par les violences dans le ménage ». 

Des violences masculines

« Les violences sont un universel, rappelle aussi la sociologue Johanna Dagorn, sociologue à l’université de Bordeaux et autrice de plusieurs études en Nouvelle-Aquitaine sur les violences conjugales. Et tous les auteurs de violences ont pour point commun une dégradation très forte de l’image des femmes, avec des stéréotypes de sexe très archaïques. »

Car, analyse aussi Pauline Delage, chargée de recherche au CNRS et autrice de Violences conjugales : du combat féministe à la cause publique (Presses de Sciences Po, 2017), les féminicides constituent « le pôle extrême du continuum des violences ». Des vexations répétées aux violences physiques, psychologiques ou sexuelles, « il y a une différence de degré ». Mais, souligne la sociologue, « la visée est la même : le contrôle de l’autre » : « Toutes les violences se nourrissent de la domination masculine. »

Pas question, donc, de parler de « folie », de « coup de folie », de « crime passionnel ». Ces mots, on les lit encore trop souvent dans les commentaires sur les violences de genre. Surtout quand elles concernent des milieux aisés et/ou particulièrement cultivés.

À Paris, le 19 novembre 2022, manifestation contre les violences masculines. © Antoine Martin / Hans Lucas via AFP

Le politiste Francis Dupuis-Déri l’a documenté dans un article consacré à l’assassinat, en 1980, d’Hélène Rytmann-Legotien par son mari, le célèbre philosophe communiste Louis Althusser, enseignant à l’École normale supérieure, à Paris. Sa compagne lui avait annoncé, peu avant, son intention de le quitter.

« Tout de suite s’impose dans l’espace public la thèse de la folie pour expliquer ce cas. Toute analyse sociologique ou politique, pour ne pas dire féministe, est évacuée », explique le chercheur. Un an plus tard, Althusser, qualifié dans l’article de « tueur de femme plutôt banal », est déclaré irresponsable par la justice et est mort, en 1990, en hôpital psychiatrique.

Être sans-emploi, un facteur de risque important

Ces invariants des violences n’empêchent pas des nuances. Les statistiques montrent en effet que si tous les milieux sont concernés, il y a une surreprésentation des employé·es et des personnes sans activité professionnelle. « Ces deux catégories sont aussi les plus représentées parmi les victimes : 47 % », explique l’ONDRP.

© Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple 2021

Elles le sont aussi parmi les auteurs. « Il est majoritairement masculin, le plus souvent en couple, de nationalité française, âgé de 30 à 49 ans ou de 70 ans et plus, et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle », selon la dernière étude nationale sur les morts violentes au sein du couple.

© Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple 2021

Or, être sans emploi ne renseigne pas le milieu social : un cadre peut être sans activité, tout comme un ouvrier. La grande enquête Virage, menée par l’Institut national d’études démographiques (Ined), sur les violences de genre le confirme : « Le niveau de diplôme a peu d’influence. » « C’est surtout le fait de ne pas être en activité professionnelle qui [est] fortement corrélé à la violence », indiquent les autrices de Violences et rapports de genre, enquête sur les violences de genre en France (sous la direction d’Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et Magali Mazuy, Ined Éditions).

« Ce n’est pas tant la profession ni son positionnement dans la classification des emplois qui importent que la désocialisation des individus et la précarité sociale », précise encore l’ouvrage. À cela, plusieurs explications : « le fait qu’un conjoint soit au quotidien au domicile (voire les deux) augmente la fréquence des violences » ; la « dépendance économique » rend les victimes plus fragiles, et moins « aptes à trouver des leviers pour se défaire de la situation de violence ».

« Le fait de ne pas avoir d’emploi peut aussi procurer un sentiment de déclassement chez les auteurs, précise la chercheuse Pauline Delage, qui se traduit par un regain de contrôle dans leur couple. »  

Les types de « contrôle » mis en place varient aussi selon les « contextes conjugaux », rappelle-t-elle. Exemples : une femme handicapée à qui son conjoint refuserait l’assistance dont elle a besoin ; une femme sans papiers sur laquelle un chantage au titre de séjour peut s’exercer ; une mère de famille qui craindrait pour les moyens de subsistance de ses enfants…

Une sous-déclaration des violences chez les cadres

Les statistiques sont aussi biaisées par un autre élément : « Les cadres déposent moins plainte que les autres catégories socioprofessionnelles », note l’ONDRP. Cela ne signifie pas qu’elles soient moins victimes, comme Mediapart l’avait montré dans cette enquête sur les beaux quartiers. Simplement, elles trouvent d’autres ressources, dans leur entourage, pour se loger…

C’est ce que montre une étude menée en Nouvelle-Aquitaine par la sociologue Johanna Dagorn, qui parle d’un « angle mort » : « Les femmes financièrement autonomes et/ou désireuses de conserver une certaine réputation ou celle de leur conjoint, “s’en sortent seules” dans un silence lourd de conséquences. » Souvent, note la chercheuse, ces femmes parlent « directement à leur avocat pour demander le divorce » et n’apparaissent pas dans les tablettes des associations spécialisées.

Elles ne sont pas les seules. Johanna Dagorn a également travaillé sur les femmes en milieu rural, où ont lieu la moitié des féminicides en France. Loin des clichés, là encore.

Lundi 20 mars, le jour même où l’universitaire Cécile Hussherr-Poisson était assassinée en plein Paris, les policiers dépêchés dans le petit village de Lagardelle, dans le Lot, ont fait une macabre découverte : les corps sans vie de Francisca et de son conjoint, en instance de séparation. La thèse du féminicide suivi du suicide du meurtrier est privilégiée.



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