En Vendée, les bassines divisent doucement le monde rural


La Roche-sur-Yon, Les Magnils-Reigniers, Lairoux, Les Autizes (Vendée).– Depuis quinze ans, une politique de construction de bassines est à l’œuvre dans le Sud Vendée. Vingt-cinq ouvrages de stockage de 11 millions de mètres cubes d’eau ont été construits en bordure nord du Marais poitevin.

Ce territoire alterne entre terres inondables, pâturages et grandes cultures céréalières. Il fournit des semences céréalières, des tourteaux pour les animaux, des melons, des légumes bio, du bœuf, le blé des pâtes. Dans quelques mois, le maïs recouvrira un quart des champs. 35 % à 45 % des terres y sont irriguées, contre 7 % au niveau national.

Jusqu’à ces derniers temps, et alors qu’une grande manifestation est attendue ce samedi à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres voisines (et pour lequel le ministère de l’Intérieur a annoncé vendredi l’envoi de 3 200 gendarmes et policiers), l’expérience vendéenne est jusqu’à présent restée loin des projecteurs. Mais elle est actuellement scrutée par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui souhaite en « tirer les enseignements » pour la révision de son schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les futurs projets qui en découleront, déployés sur un quart de la France, du Finistère aux portes de l’Ardèche.

À l’automne, les réserves artificielles sont occupées par des canards sauvages comme ici aux Magnils-Reigniers, à une quinzaine de kilomètres de la côte. © Photo Marion Briswalter pour Mediapart

La construction de ces mégaréserves d’eau a nécessité 63 millions d’euros d’investissement, dont 38 millions (60 %) de financements publics. Trois programmes successifs ont été décidés dès 2006 par les acteurs publics et privés pour limiter l’assèchement de la zone humide, trop pompée et trop drainée, tout en soutenant le système agroalimentaire en place, en proie à des risques de baisses de rendement lors des étés secs.

À cette époque justement, l’Europe avait sommé la France de placer au cœur de la préservation du Marais poitevin un basculement vers une agriculture « respectueuse de l’environnement », notamment moins gourmande en eau.

« On est parti d’un état de far west, avec une surexploitation de la ressource en été qu’il a été difficile de faire admettre » aux agriculteurs, se remémore Yves Le Quellec, président de France Nature Environnement Vendée. « Cette surexploitation est devenue admissible dès qu’il y a eu cette porte de sortie de déporter les prélèvements. La solution [les bassines – ndlr], c’est peut-être une cote mal taillée mais c’était probablement la seule qui permettait de débloquer politiquement ce sujet [l’assèchement du marais – ndlr] qui n’avait déjà que trop duré. »

Dans les années 2000, l’écologiste maraîchin s’était opposé aux réserves devant la justice. Il a depuis changé de position car « la substitution », qui consiste à remplir en hiver les réserves d’eau artificielles par des pompages dans les nappes souterraines pour les substituer aux pompages du printemps et de l’été, « produit des effets ».

Les effets ? En 2020, la culture du maïs est en retrait, un glissement s’est opéré vers des variétés de maïs plus résistantes au manque d’eau, ainsi qu’une amplification du maraîchage, des prairies, du bio et des semences et une diversification des céréales. Cependant, la substitution n’explique pas à elle seule des choix de cultures aussi fortement conditionnées par les marchés et le prix de l’électricité.

Au conseil départemental, cofinanceur, on s’enthousiasme de la politique des bassines en mettant en avant des avancées : un portage politique qui pacifie la gestion collective de l’eau même en situation de crise et un encadrement des prélèvements par l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), alors qu’ailleurs en France les chambres d’agriculture et les sociétés privées ont plus de latitude. La collectivité défend aussi les effets positifs de la mutualisation des coûts et des quotas d’irrigation entre les 500 fermes irrigantes, branchées ou non aux bassines.

Pour Arnaud Charpentier, conseiller départemental (Union de la droite) et membre de la commission agriculture et eau, « le bilan, au bout de vingt ans, c’est que cet été les nappes étaient trois à quatre mètres plus hautes que ce qu’elles étaient dans les années 1990. Et au printemps, on a des canaux qui vont mettre beaucoup plus de temps à être à sec, ce qui veut dire que les réserves ont permis de préserver le milieu ».

« Mettre en évidence l’effet de la politique [des bassines – ndlr] sur la biodiversité ou sur des niveaux d’eau du marais, c’est une étude en soi qui n’est pas près d’être terminée et qui demande un gros dispositif d’acquisition de données », lui répond Anne Bonis, chargée de recherche en écologie au CNRS et membre du conseil d’administration de l’EPMP.

Le communal de Lairoux, prairie naturelle humide à fort intérêt écologique, en novembre 2022. © Photo Marion Briswalter pour Mediapart

Un rapport de 2021 de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se montre également prudent. Dans les plaines, « il est impossible de statuer sur l’efficacité des différentes actions, le recul n’étant pas assez important », concluent les auteurs, incapables de démêler finement l’effet de la substitution de celui des quotas d’eau imposés ces dernières années et des arrêtés sécheresse. Quant aux incidences sur le cœur de la zone humide, le rapport confirme le « besoin de définir » des indicateurs plus précis.

Des études Hydrologie, milieux, usages et climat (HMUC) attendues dans les prochains mois devraient aider à actualiser les réponses et, pourquoi pas, comme dans la Vienne, à redéfinir à la baisse les quotas d’irrigation. « Il est hors de question que la profession agricole perde ne serait-ce que l’ombre d’un mètre cube », alors que des « efforts considérables ont été consentis durant les vingt dernières années », prévenait Brice Guyau, le président (FNSEA) de la confédération générale de l’agriculture de la Roche-sur-Yon, dans un courrier adressé en mai 2021 au ministère de la transition écologique, en réponse à un recours devant la justice administrative porté par Nature Environnement 17 réclamant un plafonnement des prélèvements annuels.

Le milieu est détraqué à mort.

Olivier Cotron, maraîcher et arboriculteur bio

Sur le bassin des Autizes, à l’est du département, David Briffaud, paysan boulanger membre de « Bassines non merci », dénonce « les discours qui visent à dire que pour remplir les bassines, on prend de l’eau l’hiver quand elle est abondante. C’est complètement faux ! ».

« Cet hiver, le niveau [des rivières et des nappes – ndlr] était catastrophiquement bas. Le milieu est détraqué à mort », s’alarme aussi Olivier Cotron, maraîcher et arboriculteur bio installé non loin du marais. Pour le paysan, voisin d’une bassine vaste comme 240 piscines olympiques, ce système, s’il a permis de mieux encadrer les prélèvements l’été, conforte néanmoins la mainmise des gros céréaliers sur la terre et l’eau.

Pour Yann Pajot, délégué « eau » à la Confédération paysanne de Vendée, « tout n’est pas négatif » dans la politique sud-vendéenne en cours, « mais il faut engager une vraie transition agricole et revoir les volumes attribués et les plafonner ».

Lorsque les programmes furent signés en 2006 puis au mitan des années 2010, peu voire aucune contrepartie environnementale n’a été demandée en échange des 38 millions d’euros de subventions publiques.

Alors d’ouest en est, la plaine offre un paysage toujours désolé, sans réembocagement ni haies épaisses. Concernant l’utilisation des pesticides, la poussée du bio donne une indication. Cependant, la chambre d’agriculture dit conditionner la baisse de leur utilisation à « l’amélioration » de la « performance » du matériel et au montant des aides financières pour compenser le « manque à gagner ». Pour le conseiller départemental Arnaud Charpentier, la question de la pollution agricole est hors sujet : « Les pilules des femmes polluent beaucoup plus l’eau que d’autres résidus. Le matériel agricole est aujourd’hui bien plus sophistiqué et précis », ose l’élu.

Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité.

Joël Limouzin, président de la chambre d’agriculture

Concernant les économies d’eau, la régulation de l’arrosage par des sondes remporte un vif succès mais en quinze ans, la part de la surface irriguée n’a pas reculé. La diversification vers des espèces moins gourmandes en eau et à fort potentiel mellifère n’est pas au rendez-vous.

« Il faut aller sur l’économie d’eau mais si nous voulons préserver notre souveraineté alimentaire, tout le monde va devoir se mettre dans la tête que nous devons trouver les moyens pour stocker cette eau, car il en faut à disposition l’été », assène Joël Limouzin, président (FNSEA) de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

Désormais, la chambre d’agriculture veut généraliser les aménagements pour brancher au plus vite l’ensemble des irrigants du Sud Vendée à des bassines et ceux du Nord Vendée à des réserves collinaires, ces plans d’eau artificiels déjà largement utilisés par les éleveurs du bocage. « On est prêts à prendre le pari que ces stockages seront multifonctionnels pour la biodiversité, l’agriculture, l’eau potable et contre les incendies. Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité », déroule Joël Limouzin.

Cet état d’esprit est qualifié par certain·es de « fuite en avant ». « Il y a une forme d’optimisme, voire de naïveté, de confiance envers un monde agricole qui depuis trente ans n’arrive pas à relever les défis de la restauration écologique des milieux. Il existe des modèles autres que cette fuite qui va vers plus de production, de céréales, de pompage, de puissance, de vitesse et qui ne colle pas avec la résilience », regrette Frédéric Signoret. L’éleveur et quinze confrères ont mené une petite révolution dans le département cet été, en démontrant qu’un troupeau herbivore de taille modeste et une rotation bien sentie dans des pâturages partiellement réensauvagés et inondables produisent leurs effets même en août.

Le plan gouvernemental adopté en février 2022 prévoit de soutenir « les investissements dans les projets collectifs pour l’amélioration ou la création d’infrastructures hydrauliques », c’est-à-dire les réserves de stockage artificielles d’eau pour l’irrigation.

« On ne peut peut-être pas généraliser ce dispositif » à toute la France, nuance le conseiller départemental Arnaud Charpentier. Pour le président de France Nature Environnement Vendée, « certains s’emparent du Sud Vendée pour en faire un exemple en disant “le stockage ne pose pas de problème”. Dire les choses comme ça, c’est une arnaque ! ».



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